Marie Ekeland

Bonjour à tous, proches de Geneviève, j’ai écrit ce témoignage de ce que Geneviève a représenté pour moi que je vous transmets, accompagné de mes sincères condoléances.

Une autre voie

J’étais destinée aux classes préparatoires. La route m’était tracée : bonne élève au Lycée Louis-Le-Grand, j’aurai dû, à la fin de ma terminale scientifique, intégrer une classe préparatoire parisienne et me préparer aveuglément aux concours des grandes écoles d’ingénieurs.

J’ai fait, à cette époque-là, un autre choix. Celui de privilégier la curiosité, l’équilibre du corps et de l’esprit, les liens sociaux, la culture, bref de faire le pari de ma sérénité. J’ai alors choisi un parcours universitaire pour continuer à me construire aussi à côté, en parallèle de mes études. A dire vrai, c’était aussi un choix en contre d’un système dont l’esprit de compétition extrême me heurtait. Je voulais continuer mon apprentissage au travers d’un enseignement et d’un cadre social qui laissaient plus de place à la collaboration et à plus d’autonomie et de diversité dans la découverte des disciplines.

Ce parcours est passé, de manière presque inespérée, par l’IUP GMI fondée par Geneviève Jomier & Annie Charles à l’Université Paris Dauphine. J’ai fait partie, en y rentrant en 1994, de la 3e promotion de cette incroyable formation qui, 20 ans après (alors qu’elle a été arrêtée en 2006), continue d’être en avance sur son temps. L’IUP GMI offrait une formation scientifique poussée en mathématiques appliquées ET en informatique, à l’heure où ces disciplines se parlaient peu. Plus avant-gardiste encore, le programme donnait les clés pour appréhender les compétences nécessaires à une navigation aisée dans un univers professionnel. J’ai ainsi continué à apprendre deux langues étrangères, été sensibilisée au droit, au marketing et à la communication et j’ai pu grâce à des stages multiples en France et à l’étranger beta-tester différents métiers… Enfin, l’enseignement d’une discipline se concluait systématiquement par un projet informatique, mettant en œuvre de manière pratique, et en équipe, les compétences étudiées. Bref, nous apprenions la théorie et la pratique, le savoir-faire et le savoir-être et élargissions nos horizons pour jauger les carrières qui nous conviendraient le mieux.

C’est grâce à ces fondations que j’ai pu réussir mes débuts professionnels chez JPMorgan en travaillant à Wall Street à la digitalisation des transactions financières dès 1998, et poursuivre ensuite sur cette dynamique, sans avoir obtenu le fameux passeport des grandes écoles.
Je sais le devoir en grande partie à la vision et à l’action de Geneviève qui avait compris, bien avant son temps, l’importance de conjuguer la transdisciplinarité, l’apprentissage pratique et théorique, le travail collectif et l’ouverture internationale dans la formation des étudiants à un monde qui s’informatisait. J’essaie depuis, de promouvoir ces formes d’enseignement au quotidien, dans ma propre activité comme dans les idées que je porte autour de l’évolution du modèle éducatif à l’ère numérique.

Au-delà de la formation, Geneviève m’a aussi montré qu’il était possible de faire bouger les lignes en tant que femme dans un monde d’hommes, en imposant grâce à sa simplicité, son naturel, la force de son action et sa générosité, l’évidence de son talent.

Geneviève est morte mercredi dernier, le 23 mars 2018. J’espère que mon témoignage contribuera à lui rendre l’hommage qu’elle mérite. Qu’elle soit ici remerciée de m’avoir aidée à construire une autre voie. Une voie qui me correspondait et dans laquelle j’ai fait beaucoup plus de choses que ce dont je me serais crue capable il y a 20 ans. Une voie qui m’a permis de trouver ma voix. Merci et au revoir.

Marie